Interview
Témoignages croisés

L'accompagnement des tiers-lieux ruraux par la Compagnie des Tiers-Lieux

Publié le 07 janvier 2020
Avec la conviction que les tiers-lieux questionnent le rapport au territoire et sont porteurs d’opportunités économiques, sociales et démocratiques, la Compagnie des Tiers-lieux fédère les porteurs de projets de tiers-lieux dans les Hauts-de-France. Elle participe aussi plus largement à la dynamique nationale dans l’émergence de ces nouveaux lieux de participation et de pouvoir citoyen. Témoignages de Laurent Courouble, Rachid Cherfaoui et Jean Karinthi.

Qu’est-ce que la Compagnie des Tiers-lieux ? Pourquoi « Compagnie » ?

Laurent Courouble, membre fondateur de la Compagnie des Tiers-lieux

La Compagnie des Tiers-lieux est un espace collaboratif, initié en 2012 dans le cadre d’un laboratoire d’innovations sociales. C’était d’abord un collectif informel qui s’appuyaient sur des associations anciennes, ancrées dans le territoire. Cela fait un an que la Compagnie des Tiers-lieux (CTL) est constituée en association et regroupe des acteurs qui font des tiers-lieux, c’est-à-dire qui les créent, les gèrent et les animent. La logique est d’accepter tous les tiers-lieux, avec la seule mais primordiale condition qu’ils participent au développement durable des territoires. Aujourd’hui, la Compagnie compte un noyau dur d’une vingtaine de lieux répartis sur la région Hauts-de-France, mais touche près de 167 lieux et accueille une cinquantaine de porteurs de projets par an. Nombreux sont situés sur le territoire de la métropole lilloise, mais on voit émerger de plus en plus de tiers-lieux dans les territoires ruraux et périurbains. 

Le nom « Compagnie des Tiers-lieux » vient de l’activité de compagnonnage dont bénéficient les membres, et à laquelle ils participent. L’une des missions de la CTL consiste en effet à mettre en commun des ressources permettant de faciliter la création et l’animation de tiers-lieux pour les porteurs de projets (supports d’animation, conseils méthodologiques, outils de gestion etc.) dans une logique de mise en commun et d’ouverture. La CTL travaille en subsidiarité avec les acteurs locaux (notamment ceux qui accompagnent les tiers-lieux, les financent, etc.), ce qui lui permet d’être en amont des appels à projets des collectivités et d’aider à la rédaction des réponses pour les porteurs de projets. 

La Compagnie des Tiers-lieux fonctionne sur la contribution volontaire, le transfert de savoir-faire et la progressive acculturation des acteurs (élus, services des collectivités, entreprises, habitants…) à l’économie sociale et solidaire, aux biens communs, aux principes de gouvernance partagée et de gestion collaborative, etc. Le compagnonnage permet la mise en relation entre acteurs et de proposer un accompagnement sur-mesure, pour que se créent des projets 

Pour illustrer une autre forme de compagnonnage possible… 

Jean Karinthi, membre fondateur de l’Hermitage dans l’Oise

L’Hermitage est un tiers-lieu situé sur un terrain de 30 hectares, au milieu d’un domaine agricole, avec pour objectif développer et renforcer l’entrepreneuriat en milieu rural via des pratiques innovantes et durables (agroécologie, transition énergétique, etc.). Nous avons été à l’initiative de la création d’un poste d’accompagnement à l’émergence de tiers-lieux, cofinancé par la région des Hauts-de-France sur deux communautés de communes dans l’Oise (le poste est porté par les deux intercommunalités). Dans ce cas-là, l’expérience et les compétences de l’équipe de l’Hermitage ont permis de compagnonner des collectivités. 

Y a t-il une spécificité à accompagner la création et le développement de tiers-lieux en milieu rural ? 

Laurent Courouble

Ça serait presque plus simple ! En ville, il y a beaucoup de strates administratives, d’acteurs… Dès que l’on essaie d’être actifs – voire hyperactifs – on « marche sur les platebandes » de quelqu’un. 
Il y a également beaucoup de similitudes entre certains territoires ruraux et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, en termes d’enjeux économiques et sociaux (difficultés d’accès à l’emploi, importantes disparités sociales, problèmes de mobilité, etc.) : certains tiers-lieux cherchent à créer des liens et des échanges entre villes et campagne, grâce à des projets sur l’alimentation durable et de proximité par exemple. 

Peut-il y avoir un tiers-lieu sur chaque territoire rural ? 

Laurent Courouble : 

On pense que oui, et qu’il peut même y en avoir plusieurs ! Chaque tiers-lieu poursuit des objectifs qui lui sont propres, peut correspondre à des besoins et des envies différents… L’enjeu est surtout de renforcer le maillage de tous les tiers-lieux et les coopérations territoriales, plutôt que d’imaginer un tiers-lieu unique sur chaque territoire. 

Rachid Cherfaoui, Président de la Maison d’Économie Solidaire du Pays de Bray

On sent qu’il y a aujourd’hui une aspiration citoyenne forte et commune de retrouver de la capacité d’agir, et notamment d’agir à proximité, à côté de chez soi. Il y a également une prise de conscience que le développement économique doit désormais intégrer toute la dimension territoriale, et s’appuyer sur les ressources endogènes des territoires. Si les collectivités en ont de plus en plus conscience, elles n’ont pas toujours les outils, ni les compétences formelles ou le lien suffisant à la population pour accompagner de manière singulière ce développement. 

Les tiers-lieux révèlent deux choses face à ces constats : ils permettent de (re)créer de nouvelles communautés qui renforcent la capacité d’agir (des habitants, des salariés, etc.) et prouvent que le développement économique peut être de proximité et intégrer les logiques de circuits-courts. 

Qu’observez-vous sur le rapport que peuvent avoir les collectivités locales face à l’émergence des tiers-lieux ? 

Rachid Cherfaoui

Il ne faut pas faire de généralité, mais il faut comprendre qu’il y a quelque chose de vraiment politique dans les tiers-lieux, en termes de nouvelles relations avec les habitants : c’est un rapport de force qu’il faut assumer. La question du foncier de la copropriété des immeubles est une belle manière d’illustrer ce point : il faut penser le foncier comme quelque chose qui participe à l’équilibre du pouvoir entre collectivités et acteurs économiques. 

Par exemple pour notre part, et avant de compagnonner nous n’avions jamais pensé notre lieu comme un tiers-lieu. Depuis 4 ou 5 ans, les gens s'intéressent un peu moins à nos opérations de développement économique en tant que telles mais viennent assister à des ateliers sur les recycleries, l’écoconstruction, Azheimer, etc. Les gens s’approprient le lieu, et on va essayer de faciliter de plus en plus cette appropriation pour s’assumer comme un tiers-lieu, car c’est dans la continuité logique de l’histoire de la Maison de l’ESS et de cette co-construction d’un bien commun.

Pour trouver de nouvelles solutions, cela implique un changement de posture : c’est l’innovation sociale. La question du tiers-lieu doit être vécue comme une expérience de changement de posture.

Jean Karinthi

Il est vrai également que la symbolique des lieux, de leur nom, etc. dépasse de très loin les frontières des collectivités. Cela devient un projet que l’on construit, que l’on élargit en fonction des envies, des changements de réalités territoriales, etc. Il y a un vrai sujet sur la manière de percevoir tous ces enjeux et le fait que parfois, les acteurs des tiers-lieux n’ont pas forcément conscience d’agir sur ces questions (de citoyenneté, de pouvoir d’agir, de proximité, etc.) et de créer des rapports de force qui remettent les citoyens au cœur de l’action du territoire. 

 

>> A suivre : un travail est en cours à la Compagnie des Tiers-lieux sur une foncière régionale dédié aux tiers-lieux et lieux associatifs et sur d’autres outils immobiliers, tels que le bail commercial d’utilité sociétale (qui permet de louer à prix modique contre une utilité sociale de l’activité marchande, ou encore l’outils « grandes vacances » sur la préfiguration d’espace par l’ESS.

 

Pour aller plus loin 

Thématiques

Économie sociale et solidaire
Innovation sociale Ruralité

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