Interview
Xavier Roy, directeur général de France Clusters

« Le décloisonnement entre clusters, pôles de compétitivité et ESS est pertinent au regard des enjeux de société actuels »

Publié le 18 décembre 2019
L’étude-action « Dynamiques pionnières de territoire », conduite depuis septembre 2018 par le Labo de l’ESS, étudie notamment les liens entre les dynamiques collectives de type clusters / pôles de compétitivité et celles plus proches de la culture ESS (PTCE etc.). Xavier Roy, DG de France Clusters, en a intégré la task force de suivi. L’occasion de revenir avec lui sur les liens entre clusters, pôles de compétitivité et ESS.

France Clusters est le réseau des clusters et pôles de compétitivité. Quelle est la différence entre ces deux notions ?

Ces deux appellations désignent de plus en plus la même chose, c’est presque plus maintenant une question de labellisation par l’Etat qu’une réalité de terrain. Il s’agit de réseaux d’entreprises constitués majoritairement de PME et de TPE, fortement ancrés dans un territoire, souvent sur un même créneau de production ou sur une même filière.
Dans une économie fortement mondialisée, les clusters et les pôles permettent, en fédérant les énergies, de conquérir des marchés qui n’auraient pas été accessibles par des entreprises restées seules. Au sein des clusters et des pôles, on met l’accent sur la coopération et l’innovation plutôt que sur la concurrence.

Les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) s’intègrent-elles à certains clusters ?

Les clusters se sont d’abord structurés en rassemblant des entreprises présentes sur le territoire avec l’envie de coopérer pour être plus agiles et réactifs sur leurs marchés cibles, pour générer des innovations ensemble, pour mutualiser des services et pourquoi pas des fonctions y compris de type RSE / économie circulaire, etc. Ils se créent donc au sein d’un certain domaine d’activité, sans faire de focus particulier sur la nature des entreprises (de l’ESS ou pas).    Dans les faits, les structures de l’ESS sont assez peu présentes au sein des clusters et des pôles, mais ce n’est pas un choix délibéré. Paradoxalement, il semble que l’apparition des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ait contribué à creuser l’écart, en faisant émerger des « clusters de l’ESS » en parallèle des clusters « plus traditionnels », sans créer de passerelles.   Chez France Clusters, on trouvait ça dommage et nous avons volontairement choisi d’associer les PTCE à la plupart de nos travaux (invitation à nos évènements, affichage dans nos annuaires et posters communautaires…), car de nombreux questionnements et pratiques s’avèrent similaires à ceux des clusters et pôles en matière de contenus, de coopérations interentreprises, d’organisation, d’outils et de méthodes pour développer des projets innovants. Par exemple, les clusters sont structurés en association et s’intéressent fortement au statut des SCIC qui relève de l’ESS. Inversement, des PTCE nous ont régulièrement sollicités sur la question de la transformation des modèles économiques des clusters pour s’en inspirer. D’ailleurs, certains PTCE sont devenus membres de France Clusters, non pas parce qu’ils cherchaient à renforcer leur identité de cluster mais parce qu’ils souhaitaient venir échanger avec la communauté.

Suite à la loi NOTRe, l’appui aux clusters et aux Pôles de compétitivité reviendra aux Régions à partir de 2020. En quoi est-ce important pour les Régions de faire le lien avec l’ESS ?

On constate un réel cloisonnement entre les politiques d’appui aux structures de l’ESS et aux structures hors ESS. Par exemple, on demande chaque année aux régions, à l’occasion de l’édition de notre carte « Mapster », de référencer les PTCE. On se rend compte que les services concernés par les clusters et pôles ne les connaissent pas. Hors, comme évoqué précédemment, le rapprochement est complètement pertinent pour partager des bonnes pratiques entre les uns et les autres.   D’autre part, il y a une forte volonté de plus en plus d’entreprises d’intégrer la RSE dans leurs boussoles stratégique et opérationnelle. Or, les entreprises de l’ESS ont positionné au coeur de leur activité des critères sociaux et environnementaux qui font référence. Comme le montre par exemple une étude menée sur le territoire de Dijon Métropole, le développement de l’économie collaborative sur les champs de l’habitat, de la mobilité ou de l’alimentation oblige les acteurs traditionnels à transformer leurs pratiques et à s’ouvrir aux opérateurs de l’ESS qui sont pionniers dans ces domaines.

Les clusters et les pôles, en intégrant les structures de l’ESS ou en coopérant avec les PTCE, pourraient donc être des lieux de transformation des pratiques des entreprises en faveur d’une transition écologique et sociétale ?

Oui, les entreprises de l’économie industrielle doivent faire évoluer leur vision, leurs processus de production et leur management pour répondre à la demande de leurs clients, des donneurs d’ordres mais aussi de leurs employés et futurs employés. Elles se tournent notamment vers les clusters et les Pôles de compétitivité pour mutualiser ces réflexions, voire porter un projet commun (ex. réflexion d’une marque employeur collective, projets d’économie circulaire ou d’écologie industrielle). Hors sur ces sujets qui sont plutôt d’ordre sociétal, les PTCE ont évidemment réalisé des choses intéressantes.   Ce que j’exprime également comme un vœu, c’est de considérer que c’est parce que les entreprises de l’économie « traditionnelle » absorberont des réflexes des entreprises de l’ESS qu’on aura une économie en capacité d’évoluer fortement. Le but n’est pas de remplacer les unes par les autres, mais d’accompagner les structures de l’économie « traditionnelle » à aller vers une économie soucieuse de préoccupations environnementales, sociétales, etc.   Pour parler très concrètement, ce sont par exemple les entreprises industrielles du Pôle Mont-Blanc Industries qui s’interrogent sur leur responsabilité et leur pouvoir d’agir, questionnées par les habitants de la Vallée de l’Arve s’émouvant de ne plus voir de neige en haut de l’Aiguille du midi. Que ce soit pour de bonnes ou de moins bonnes raisons, cette communauté est prête à faire un pas de côté, il est important de l’accompagner.

Vous avez participé à la task force de l’étude-action Dynamiques pionnières de territoire conduite par le Labo de l’ESS, portant sur les différentes dynamiques collectives de territoires. Qu’en retenez-vous ?

C’est globalement une étude à laquelle j’ai pris plaisir à participer, et grâce à laquelle j’ai rencontré des gens ouverts et intéressés par une pluralité d’initiatives. Au-delà de l’aspect humain, je me réjouis de ce qui a été capitalisé à travers les premières recommandations, que je partage à plusieurs égards.   Sur la place de l’ingénierie dans le développement des projets de coopération d’abord, et la réaffirmation de l’importance de l’animation pour faire vivre les écosystèmes territoriaux, notamment sur des enjeux sociétaux majeurs : ce n’est pas le job des entreprises de s’auto-animer. Sur l’importance de la coopération, ensuite : je reste convaincu que l’entreprise de demain, c’est une entreprise en réseau. A France Clusters, nous faisons pari que le chef d’entreprise de demain est un manager de cluster, un animateur d’entrepreneurs qui participent à une ambition collective. J’ai retrouvé cette même approche dans la pluralité des projets économiques territoriaux examinés dans le cadre de cette étude.   D’autres points me semblent intéressants à partager entre les dynamiques étudiées, qu’elles soient de l’ESS ou non :
  • La question de l’ancrage territorial, du partage de préoccupations territoriales qui dépassent la recherche de croissance de l’entreprise ;
  • La réflexion sur l’évaluation, qui doit s’inscrire dans une démarche intelligente et utile : il est important de mesurer l’impact de nos initiatives de coopération sans se tromper de critères. Est-ce le nombre de projets d’innovation tech qui compte et les levées de fonds qu’elles ont engendrées ou l’impact des innovations produites ? De même, il est important qu’on fasse des évaluations « utiles » ! Au cours des 10 dernières années, les pôles de compétitivité ont été évalués cycliquement par des acteurs très divers (Etat, Régions, Cour des Comptes, CESE, Universités, etc.) et ont ainsi été décortiqués pratiquement tous les ans. Tous ces travaux ont globalement tiré des conclusions systématiquement positives et suggéré de continuer, notamment dans le cadre d’une coopération nationale/régionale très bénéfique ! Evidemment j’y souscris pleinement. Et pourtant qu’observe-t-on actuellement ? Un recul net de l’Etat dans l’accompagnement de ces écosystèmes…

En conclusion, cela m’a vraiment conforté sur la pertinence du décloisonnement par rapport à ce que vit aujourd’hui notre société.

>> Voir aussi l'interview d'Odile Kirchner, pilote de l'étude-action Dynamiques pionnières de territoire du Labo de l'ESS

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