Interview
Odile Kirchner, pilote de l'étude-action Dynamiques pionnières de territoire du Labo de l’ESS

Comment les clusters et pôles de compétitivité dialoguent avec l’ESS

Publié le 12 décembre 2019
Depuis septembre 2018, le Labo de l’ESS mène une étude-action sur les dynamiques de coopération dans les territoires, dont les Régions Occitanie, Hauts-de-France et Bourgogne-Franche-Comté sont notamment partenaires. Une vingtaine de cas y sont étudiés, parmi lesquels des clusters d’entreprises, des pôles de compétitivité, et d’autres plus proches de la culture ESS. L’occasion de revenir sur les liens existants ou à créer entre ces dynamiques avec Odile Kirchner, ancienne Déléguée interministérielle à l’ESS, qui pilote l’étude-action.

Entre clusters d’entreprises et tiers-lieux, les liens semblent à première vue ténus. Pourquoi avoir intégré une telle diversité de dynamiques dans votre étude ?

Effectivement, on aurait a priori pu penser qu’il y avait peu de choses en commun entre les clusters d’entreprises et les pôles de compétitivité – soit des dynamiques d’acteurs essentiellement économiques -, et les dynamiques de territoire davantage marquées « Economie sociale et solidaire » (ESS) comme les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), les Territoires zéro chômeur de longue durée, les tiers-lieux, les monnaies locales ou les initiatives centrées sur la transition écologique.   C’était un pari, mais nous souhaitions intégrer cette diversité de dynamiques afin de décloisonner l’ESS et avoir une approche plus transversale sur l’ensemble de l’économie. Nous avons ainsi visité – et nous les remercions vivement de leur accueil - le cluster Nova Child et deux Pôles de compétitivité centrés sur la mer (Bretagne Atlantique et Méditerranée). Le responsable de France Cluster, Xavier Roy, a également participé avec beaucoup d’implication à la task force qui jalonne l’ensemble de l’étude.   Si nous ne pouvons pas généraliser nos propos à l’ensemble des clusters et des pôles, nous pouvons quand même dire qu’après 16 mois d’étude et plusieurs séminaires communs avec l’ensemble des animateurs de cette quinzaine de dynamiques territoriales de coopération, et au vu de l’intensité des échanges et de la qualité des débats, le pari est largement tenu !

Les clusters d’entreprises et les pôles de compétitivité ont-ils les mêmes objectifs que les dynamiques territoriales davantage marquées « ESS » ?

Il ne faut pas se méprendre, les objectifs et les acteurs qui composent ces dynamiques ne sont pas les mêmes. Pour les clusters d’entreprises et les pôles de compétitivité, les objectifs sont fortement liés au développement de l’innovation dans les entreprises et à la compétitivité de l’industrie française. En termes d’acteurs, on retrouve essentiellement des acteurs économiques – grandes entreprises et PME – et des acteurs de la recherche, en lien avec les pouvoirs publics locaux, mais très peu d’acteurs associatifs ou même d’habitants.   Les autres dynamiques de coopération étudiées, elles, ont clairement pour objectif de construire des écosystèmes territoriaux porteurs de transitions écologique, sociale, culturelle, et toujours avec une dimension économique. En termes d’acteurs, elles sont plus diversifiées : elles rassemblent également des acteurs économiques, de l’ESS et de l’économie classique, mais aussi des acteurs associatifs, culturels, impliquent toujours les habitants et souvent les pouvoirs publics locaux.

Quels éléments communs avez-vous pu identifier entre les dynamiques clusters / pôles de compétitivité et celles davantage marquées « ESS » ?

Au cours de l’étude, nous avons constaté des zones de dialogue et d’échange d’expériences fructueuses, notamment sur les méthodes et les outils pour construire et faire vivre dans le temps une dynamique de coopération. Nous avons par exemple relevé des pratiques communes autour de 3 enjeux partagés :

1) Etablir une coopération durable entre des acteurs diversifiés

  • Procéder par des petites victoires rapides, et pour cimenter la coopération, partir de l’intérêt des membres eux-mêmes : pour les pôles de compétitivité, la façon dont les TPE et les PME sont accompagnées dans leurs projets innovants est majeure par exemple ;
  • Constituer une équipe d’animation de la dynamique de coopération qui soit à la fois facilitatrice, intermédiaire, médiatrice et traductrice. Dans toutes les dynamiques de coopération, on constate que c’est la qualité de cette équipe centrale, souvent peu nombreuse, qui fait vivre la coopération dans la durée. Elle doit être capable de parler les langages de chacun des membres, dans toute leur diversité. Le vice-président du Pôle Mer Bretagne Atlantique, Hervé Moulinier, parlait ainsi de « concertologues » ;
  • Réussir à faire vivre la transversalité : les membres de la dynamique collective recherchent souvent un regard extérieur de leurs pairs, qui éclaire et élargit leur propre expérience. Nous avons vu à Novachild dans le Choletais comme aller chercher des idées nouvelles auprès d’autres acteurs du cluster, créer entre les entreprises sur le territoire un réseau d’homologues dans les différentes compétences métier était important.

2) Construire une offre de services à l’intention des membres utile dans la durée

  • Produire de la valeur ajoutée pour chacun : réussir à faire ensemble ce qu’on ne pourrait faire seul mais également créer de la valeur, apporter des offres nouvelles de services pour chacun de ses membres. Par exemple, le Cluster Nova Child a constitué un observatoire des tendances de marché autour de l’univers de l’enfant, et un living lab pour tester les nouveaux produits et concepts des entreprises membres ;
  • Apporter de l’ingénierie de projets (individuels ou collectifs) : c’est évidemment le rôle des Pôles, mais on retrouve aussi cette ingénierie dans la démarche Start-up de territoire portée par les PTCE Figeacteurs ou Clu’ster Jura par exemple, démarche qui accompagne les porteurs de projets dans la construction de solutions nouvelles pour le territoire ;
  • Favoriser la mise en relation qualifiée entre acteurs et générer des coopérations : on la retrouve tant dans les PTCE dont c’est l’objet même que dans les clusters ou les pôles de compétitivité quand ils incitent au rapprochement entre entreprises ;
  • Organiser des visites apprenantes : toutes les dynamiques de coopération étudiées les pratiquent ! Aller en groupe voir à l’extérieur comment d’autres traitent la question sur laquelle on veut agir, cela apporte des idées nouvelles inspirantes, et cela créé des liens entre les membres et participent au récit commun de la vie du collectif.
  • Mutualiser des ressources et des compétences.
3) Consolider un modèle économique conjuguant des financements privés et publics

Souvent financées par un mix de fonds publics et privés, l’ensemble des dynamiques collectives de territoire sont confrontées à contraction des fonds publics et à la nécessité de trouver plus de ressources propres. Elles s’orientent toutes vers le développement des cotisations des membres et des prestations de services, à l’instar des clusters et des pôles de compétitivité. De nombreuses dynamiques de coopération « ESS » comme les PTCE confortent ainsi leur rôle de « bureau d’ingénierie de projets d’intérêt collectif », rémunérés pour leur prestation d’impulsion de nouvelles activités sur le territoire.

Les moyens explorés sont divers : formations, séminaires payants, rétrocession à la structure collective d’une partie du chiffre d’affaire des nouvelles activités économiques générées, ce qui permettra d’accompagner d’autres porteurs de projets, etc.

Que peuvent apporter les dynamiques portées par l’ESS aux clusters et aux pôles de compétitivité ?

Les dynamiques portées par les acteurs de l’ESS pourraient inspirer les clusters et les pôles de compétitivité sur deux thématiques principales : l’éveil aux préoccupations sociétales et l’implication des habitants.

1) L’ouverture aux préoccupations sociétales

Leurs objectifs sont très économiques et centrés sur l’innovation, la performance de l’écosystème industriel et la compétitivité des entreprises. Mais il nous semble que les pôles et les clusters pourraient davantage prendre en charge des sujets tels que la responsabilité territoriale d’entreprise ou les préoccupations sociétales dans leur secteur d’activité.   Ainsi, si Nova Child travaille déjà sur la sensibilisation et la prévention à l’hyper-sexualisation des enfants et notamment des filles, d’autres évolutions sociétales fortes dans les biens de consommation pour les enfants ne sont pas prises en compte. Citons par exemple le marché d’occasion et le réemploi, l’économie de la fonctionnalité. Certes, ce n’est pas évident pour des entreprises qui vivent de la vente de produits neufs, mais ce sont des nouvelles tendances fortes de consommation qui apparaissent incontournables pour des raisons de pouvoir d’achat tout autant que pour cesser le gâchis de ressources.   Pour les Pôles Mer, les questions de préservation des océans et de pollution par le plastique, la pêche durable sont certes prises en compte dans l’innovation et la recherche. Mais les pôles de compétitivité ne cherchent pas suffisamment à tisser des liens de coopération et de partenariats sur ces sujets majeurs avec les acteurs associatifs, des ONG et les habitants du territoire. Ils ont leur rôle à jouer, ils rassemblent beaucoup d‘entreprises et de moyens, ils pourraient coopérer avec d’autres acteurs du territoire pour mener des actions larges de sensibilisation et d’actions de prévention. 

2) L’implication des habitants

Le dynamisme des entreprises liées au marché de l’enfant est source de fierté pour le territoire choletais où se situe Nova Child mais l’attraction de nouveaux talents reste un sujet de préoccupation majeur pour un territoire à l’écart de grandes villes universitaires. Pourquoi ne pas valoriser auprès des habitants le savoir- faire et les compétences fortes des entreprises locales sur l’évolution de l’enfant et de la famille, les recherches menées avec les médecins et les psychologues au travers par exemple de colloques ? cela intéressait les parents et élargirait la réputation du territoire dans ce domaine. Il y a beaucoup à gagner à impliquer les habitants, citoyens responsables, et souvent désireux de participer à la vitalité de leur territoire.   Nous espérons que les échanges générés avec les dynamiques de coopération tournées vers la transition sociétale vont inspirer les pôles de compétitivité et les clusters. Il y a un intérêt évident à les inciter à entrer plus fréquemment en coopération avec les autres dynamiques collectives sur leur territoire, afin d’élargir leur action et de participer à la création d’écosystèmes territoriaux porteurs de transition écologique et sociétale dans lesquels ils ont aussi un rôle à jouer.   >> En savoir plus sur l’étude-action « Dynamiques Pionnières de territoire » du Labo de l’ESS
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