Interview
Coopératives d'activité et d'emploi

Quels sont les atouts des CAE rurales face aux évolutions du rapport à l’emploi ?

Publié le 04 novembre 2021 - Mise à jour le 05 novembre 2021
Quel est le rôle des coopératives d'activité et d'emploi (CAE) dans la redistribution des cartes du monde du travail ? Un atout pour l'attractivité d'une région rurale pour les urbains en quête de nouveaux équilibres ? Une solution à la précarisation des statuts ? Réponses avec Charlotte Dudignac, directrice générale déléguée de Coopérer pour entreprendre.

Les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) sont-elles autant implantées dans les grandes villes, que dans les plus petites ou dans les zones rurales ?

Actuellement, environ 15 % des CAE interviennent en zone rurale (ce qui couvre environ 15 % des entrepreneurs salariés). Une des spécificités des CAE est qu’elles proposent un accompagnement de proximité. Bien que les dispositifs d’accompagnement et les incubateurs sociaux soient plus concentrés dans les métropoles, les métropoles sont aussi fortement bouleversées par les tendances des nouvelles trajectoires individuelles, comme l’illustre le phénomène encore en étude de l’exode urbain et le nombre de plus en plus important de néo-ruraux. Ainsi, travailler un accompagnement de qualité à distance (adapté à cette nouvelle donne) est un véritable enjeu pour nous. 

Quelles sont les spécificités du modèle CAE en zone rurale ?

La concentration des acteurs étant moindre en zone rurale, il y a aussi moins de compétition. Les pratiques de coopération entre acteurs de l'accompagnements et acteurs de la formation professionnelle, comme Pôle emploi, peuvent être plus aisées. Sur ce point, l'autre facteur important est celui de la compréhension qu'ont les élus de ce qu'est une CAE et donc des leviers de soutien financier disponibles. Or, la CAE reste un modèle récent, méconnu et parfois clivant.

Enfin, la composition des milieux socio-professionnels varie grandement selon les territoires. Hors des zones urbaines, on trouvera davantage d’entrepreneurs cumulant deux ou trois activités, car le travail indépendant est la seule solution pour eux.

La CAE répond-elle à l’aspiration de l’ESS de valoriser une économie relocalisée autant en termes de valeur que d'emploi ?

Absolument. Une CAE permet aux entrepreneurs de se salarier dans le cadre de leur activité entrepreneuriale où qu'elle soit. C'est l'un des grandes forces, peut-être la plus importante, de notre modèle.

Les CAE incarnent l’ambition d’entreprendre tout en faisant communauté. C’est aussi l’opportunité de coopérer en allant jusqu’à répondre à plusieurs à un appel d’offres par exemple. On y trouve des professionnels de l'accompagnement qui, en appuyant les entrepreneurs dans le développement de leurs activités, favorisent le renforcement du réseau économique, social, culturel et touristique. 

Dans le contexte des mobilités géographies actuelles, des aspirations à d’autres équilibres vie privé / vie professionnelle des urbains, la CAE renforce la capacité d’un territoire à capter ces nouvelles populations. En zone rurale, 32% d’entrepreneurs salariés affirment que la localisation de la CAE a joué un rôle prédominant dans leur capacité à développer leur activité. 15% d'entre eux affirment que, sans la CAE, ils auraient probablement dû déménager. La question de l'accompagnement à l'installation se pose donc aujourd'hui, comme c'est le cas en Normandie où la Région nous soutient pour l'organisation d'un voyage apprenant destiné aux élus et techniciens. L’idée est d’aller avec eux à la rencontre de CAE et d'autres types de tiers-lieux.

Quels sont les grands enjeux à moyen terme pour le réseau Coopérer pour entreprendre ?

Coopérer pour entreprendre, c'est tout d'abord 20 ans dédiés exclusivement aux CAE. Nous avons forgé une culture autour de ce modèle, et contribué à sa reconnaissance par la Loi de 2014. 

Notre premier objectif est de conserver la maîtrise de ce qu'une CAE peut apporter dans un environnement fortement ubérisé et sur lequel les élus sont conduits à légiférer. On peut se féliciter que la CAE soit désormais mieux connue des pouvoirs publics et qu'elle apparaisse comme une alternative potentielle permettant de réancrer à l’entrepreneuriat une protection sociale forte.

Pour autant, sans capacité d'influence suffisante, nous risquons de nous voir imposer un rôle de pansement sur un système créant beaucoup de précarité. D'où l’importance de rassembler les deux réseaux de CAE existants (Copéa et Coopérer pour entreprendre) au sein de la Confédération générale des Scop.

Cette fédération, encore en phase de lancement, a été fondée il y a un an. Quant à notre réseau, il a déjà revu son périmètre statutaire et s'adresse désormais à toutes formes d'entrepreneuriat collectif où les CAE pourraient avoir un rôle d'entraînement. 

Quels sont ces types d'entrepreneuriat qui pourraient s'inspirer voire collaborer avec les CAE ?

Je rappelle un principe :  il faut entrer dans une CAE pour profiter de ce qu'elle apporte et notamment la sous-traitance des activités de gestion. Un livreur auto-entrepreneur, voire, une personne qui sous-loue un compte Uber sans être déclaré ne peut entrer dans une CAE. À ce sujet, nous menons actuellement des expérimentations dans des Quartiers prioritaires de la Politique de la ville pour expérimenter des nouvelles formes d'accompagnement de livreurs précaires. 

Un autre exemple : une personne trop éloignée de l'emploi ne peut pas entrer dans une CAE. Bien des structures d'insertion se posent la question d'accompagner des entrepreneurs sur des modèles hybrides insertion/CAE. On voit là l’importance de coopérer entre acteurs pour développer de nouvelles solutions de sécurisation d'une activité. Qui mieux qu'une association pour accompagner d'ex-détenus en lien avec une CAE - qui offrirait le back office de gestion administrative et comptable ? 

Vous engagez donc une stratégie de diversification de l'activité des CAE ?

Il s'agit surtout de valoriser le savoir-faire des CAE pour en faire bénéficier d'autres qu'elles-mêmes. L'autre enjeu est aussi de renforcer la capacité et la robustesse des CAE afin qu'elles puissent jouer leur rôle d'acteur clef du territoire. Faute d’expertise juridique suffisante, plusieurs tiers-lieux ont souhaité devenir une CAE et se sont ainsi rapprochés de nous, mais n’ont jamais pu faire aboutir leur démarche.. Les CAE ont cette expertise mais doivent avant tout consolider leur modèle afin de sécuriser leurs compétences.

Cela veut dire que la CAE a besoin de développer une culture d’éducation populaire et de politiser les débats. Un collectif d'individus qui rejoint une CAE doit le faire par accord avec des valeurs, en plus de souhaiter y trouver des services et un soutien. Au centre, une question clef : comment passer de l'intérêt individuel à l'intérêt collectif afin de pouvoir s'inscrire dans les politiques territoriales ? C'est à cet égard que le modèle économique des CAE sera travaillé dans les prochains mois avec le soutien du Dispositif local d'accompagnement (DLA).

En savoir plus

>> Consultez le site internet de Coopérer pour entreprendre
>> Retrouvez les fiches "5 Formes de coopération adaptées aux territoires ruraux"

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Emploi
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