Décryptage
Alimentation durable

Systèmes alimentaires territoriaux : quelle feuille de route ?

Publié le 03 janvier 2019 - Mise à jour le 05 février 2019
Si l’Economie sociale et solidaire constitue un laboratoire de solutions pour l’alimentation durable, le défi est conséquent. On reproche souvent aux initiatives « alternatives » de ne pas parvenir à faire système, à changer d’échelle et à transformer en profondeur. Comment consolider la place des projets d'innovation sociale aux côtés des acteurs traditionnels ?
Afin d’amorcer une transition écologique et solidaire dans nos territoires, se saisir de la question alimentaire est incontournable mais aussi stratégique. Cette question touche en effet à la fois à notre patrimoine culturel (la gastronomie française !), à notre santé, et au développement économique. Pour cette raison, et parce qu’elle est omniprésente dans la vie de chacun, son potentiel mobilisateur et sa puissance transformatrice sont inégalables.   Etats généraux de l’alimentation, Livre-blanc des Régions pour une agriculture durable et une alimentation responsable, Projet Ten Years for Agroecology de l'Iddri, et bien d'autres ! Les initiatives publiques et privées se multiplient dans le contexte actuel de pré-programmation de la PAC post-2020. Parmi ou à travers ces initiatives, de nombreux projets de l’Economie sociale et solidaire se créent et se consolident, sans toujours parvenir à changer d’échelle. A quelles conditions pourraient-elles faire système ?   C’est la question que s’est posée la Fondation Rte à l’occasion de ses 10 ans, à travers un atelier animé par Bérengère Daviaud de l’Avise, en présence de Jean-Guy Henckel fondateur du Réseau Cocagne, de Guillaume Dherrisard de Sol et Civilisation, et des représentants de trois projets : les Champs Gourmands, La Potassine et Sésame-Autisme Languedoc-Roussillon.

Favoriser l’émergence et la pérennisation des projets

Pas de système alimentaire territorial durable sans projets. Le premier enjeu est d’appuyer la création et la consolidation d’initiatives entrepreneuriales durables autour de la production, de la transformation, de la distribution et de la consommation. S’il en existe de nombreuses (découvrez les 15 initiatives du dossier Alimentation durable de l’Avise), le démarrage n’en reste pas moins complexe.   Comme en ont témoigné les trois projets présentés lors de l’atelier, mettre en place et réussir son projet relève parfois de l’impossible et demande aux entrepreneurs d’être de véritables couteaux suisses : mobilisation de financements pour les investissements matériels coûteux, gestion de la mobilisation bénévole et des ressources humaines au turnover important, développement rapide nécessaire pour réaliser des économies d’échelle et répondre à des marchés plus importants, etc.… sont autant de défis à surmonter. Certains projets de l’ESS adressent par ailleurs plusieurs problématiques, en faisant par exemple de l’insertion via du maraîchage bio comme le fait le Réseau Cocagne.   Cette complexité, nécessaire à apprivoiser, induit des modèles économiques souvent difficiles à stabiliser. Pour y répondre, la mise en place de modes de financements et d’accompagnement adaptés est cruciale, car ceux-ci évitent des recherches de financements morcelées et étalées dans le temps qui se révèlent contre-productives pour atteindre les effets de seuil nécessaires à la stabilisation de l’activité et du modèle. Les logiques de mutualisation et les chantiers ouverts autour des Communs (entendus comme les biens et services accessibles en commun, tels que les monnaies locales, les logiciels et semences libres, les jardins partagés, etc.) sont également intéressants, et permettent notamment de diminuer les investissements nécessaires au démarrage, sur le matériel, la logistique, les logiciels, etc. Enfin, mieux accompagner, c'est aussi capitaliser sur les succès et les échecs des projets, en comprendre les étapes et éléments incontournables. C'est un des objectifs visés par le projet TRESSONS mené par l'Avise et le RTES et financé par le Réseau rural national et le FEADER.  

Développer des filières agro-alimentaires durables

La mise en place de filières est indispensable à la transformation en profondeur de nos systèmes alimentaires territoriaux. Avoir de nombreux producteurs sans solutions de transformation ou de distribution ne permet pas d’ancrer les « fruits » de cette production localement. La collaboration entre les acteurs de la filière permet également de trouver d’autres débouchés, de mutualiser certaines activités (dont la sensibilisation et la communication) et ainsi de pérenniser leurs modèles.   Le projet La Potassine propose pour cela la mise en place d’une filière collective de la graine à l’assiette, avec de multiples initiatives complémentaires : des jardins en bio, une régie agricole communale et des vergers publics sur l’approvisionnement, deux AMAP et plusieurs cantines pour l’écoulement de la production ainsi qu’une conserverie pour la transformation des surplus et produits difficilement commercialisables. De la même manière, Sésame Autisme Languedoc-Roussillon gère à la fois des vergers et des vignes en bio, aujourd’hui complétés par un restaurant et une épicerie ! Ces projets autour de la filière peuvent être portés par le même acteur dans une logique de croissance horizontale, mais ils peuvent aussi être portés par différentes structures qui coopèrent entre elles.   Ces dynamiques de collaboration ressortent clairement dans le Livre-blanc des Régions dont la 4e proposition est « d’appuyer les démarches collectives, qu’elles impliquent un même type d’acteurs ou plusieurs acteurs de la filière, car elles permettent l’accélération du transfert de pratiques vertueuses et sont sources d‘innovations ascendantes. »   Cela pose néanmoins plusieurs problématiques : le financement de l’animation du collectif, la compréhension des leviers de coopération et du partage de la valeur, mais aussi le déploiement d'une ingénierie d’accompagnement adaptée aux coopérations. Sur ces enjeux d’accompagnement, le Dispositif local d’accompagnement (DLA) est un outil pertinent de plus en plus sollicité. Le diagnostic réalisé par le DLA et le fonds d’ingénierie qu’il peut ensuite mobiliser peuvent en effet concerner des projets pluri acteurs engagés dans une démarche de coopération et/ou de structuration de filière sur un territoire.

Faire territoire

Derniers ingrédients, la réceptivité du territoire, l’engagement des pouvoirs publics, la mobilisation citoyenne et le dépassement des clivages rural/urbain autour d’un projet commun de territoire sont incontournables. Jean-Guy Henckel parle « d’alliances fertiles », entre acteurs privés, publics et citoyens qui doivent se retrouver autour d’une convergence d’intérêts.   Ces alternatives, parce qu’elles sont récentes ou isolées, restent souvent coûteuses pour le consommateur final. Si ce coût diminuera une fois les infrastructures, dispositifs, réseaux et autres facteurs en place pour les appuyer, c'est bien le choix de consommation des citoyens qui reste et restera déterminant pour le développement de filières vertueuses. L’engagement citoyen permet également à ces projets de bénéficier du soutien de bénévoles et parfois de financements au démarrage par le biais de plateformes de financement participatif telles que Miimosa.   Représentant des marchés potentiellement importants, la commande publique est un levier de soutien central des collectivités, mais pas le seul. Pour répondre aux difficultés lors de la création de projets ou le développement de filières, les collectivités prévoient aussi des dispositifs d’appui spécifiques (en partie via le FEADER), à l’image de la Nouvelle-Aquitaine et de sa nouvelle feuille de route pour une alimentation durable et locale. Plus généralement, le rassemblement autour d’une vision nouvelle pour le territoire se fait en partie à travers elles. Ainsi, la Ville d’Ungersheim à l’origine de La Potassine est engagée dans la démarche des « villes et villages en transition », pour une autonomie intellectuelle, énergétique et alimentaire.   Prévus dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, les projets alimentaires territoriaux sont d’excellents outils pour créer ces systèmes alimentaires durables. Ils sont élaborés de manière concertée à l’initiative de l'ensemble des acteurs d'un territoire et s'appuient sur un diagnostic partagé. Les acteurs de l’ESS figurent d’ailleurs comme partenaires naturels de ces projets. Mais alors comment mettre en place ces alliances fertiles ? Cela nécessite de s’interroger, à la fois sur l’échelle adéquate pour faire système, à la fois sur l’origine, l’impulsion de la démarche, et sur son pilotage.   L’une des réponses se situe peut-être autour des récits : ne se souvient-on pas des maisons de nos grands-parents, où chaque meuble, objet, recette et ingrédient avait une histoire singulière ? Et si l’une des solutions, comme évoqué en conclusion de l’atelier, était de réinventer des récits autour de notre alimentation et de la manière dont nous produisons ? Si l'une des solutions était de raconter les histoires et les trajectoires de ces produits ? Afin de recréer de l’attachement, pour que l’on puisse s’y identifier, et que l’on comprenne qu’ils sont le fruit d’un patrimoine et d’un engagement collectifs.   >> Découvrez Les Carnets Carasso sur le sujet : "Les systèmes alimentaires territorialisés"

Thématiques

Alimentation & agriculture durables
Transition écologique Économie sociale et solidaire Innovation sociale

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