Interview
ESS et transition énergétique

Arnaud Leroy : renforcer la coopération entre acteurs de l'écologie et de l'ESS

Publié le 19 mai 2021 - Mise à jour le 01 juin 2021
À l'occasion de la sortie de son dossier ESS et transition énergétique, l'Avise invite Arnaud Leroy, président-directeur général de l'ADEME, à s'exprimer sur la coopération entre acteurs de la transformation écologique et de l'ESS. Expertise, accompagnement, financement, recherche et partage de solutions, l’ADEME est l’organisme français qui porte l’objectif public de transition écologique. Pour ce faire elle s’engage pour mettre en œuvre une transition écologique, solidaire et collective. Décryptage des défis et leviers à mobiliser pour réussir cette transition.

Selon vous, quel rôle et quels défis attendent les acteurs de l’ESS sur la voie de la transition énergétique ?

L'ESS, pionnière d’une nouvelle vision de l’économie

Parce qu’ils sont mobilisés au quotidien en faveur d’une économie plus sociale et plus solidaire, les acteurs de l’ESS occupent une place toute particulière en matière de transition énergétique et plus largement de transition écologique. En effet, pionniers d’une nouvelle vision de l’économie et des services que celle-ci doit apporter à la société, leur posture les incite nécessairement à une sensibilité plus aigüe au regard des défis environnementaux à relever : lutte contre le changement climatique, économie de ressources, préservation de la biodiversité…

Se préoccuper de l’humain apparaît de plus en plus indissociable de cette préoccupation environnementale. Mais au-delà de la posture de principe et de cette sensibilité aujourd’hui largement partagée ou du moins affichée par l’ensemble des acteurs économiques, l’ESS démontre déjà dans les faits cet engagement en faveur de la transition écologique. Elle est ainsi largement représentée dans des secteurs en lien direct avec la préservation de l’environnement et des ressources tels que la gestion des déchets et le réemploi, les énergies renouvelables participatives, la mobilité inclusive ou l’agriculture biologique.

Les principaux défis à relever aujourd’hui me semblent de deux ordres. Il s’agit d’une part d’intégrer la préoccupation environnementale dans l’ensemble des activités – et non dans les seules dont la protection de l’environnement est le coeur d’activité – et d’autre part, de généraliser les bonnes pratiques, c’est-à-dire faire en sorte que dans tous les secteurs, les comportements exemplaires de quelques pionniers deviennent la norme de tous.

À ces deux défis, s’ajoute un troisième : l’urgence d’agir. En effet, au fur et à mesure que les désordres environnementaux s’accélèrent, les échéances de prise de décision et de passage à l’action pour tenter d’endiguer l’amplification des phénomènes de dégradation ou de s’y adapter se rapprochent également en accéléré. Nous n’avons plus le temps d’attendre que les meilleures technologies ou les bonnes pratiques infusent lentement à travers la société.

IL NOUS FAUT COLLECTIVEMENT ACCÉLÉRER LES TRANSFORMATIONS ET PARVENIR À UN PASSAGE À L’ÉCHELLE PLUS RAPIDE, À UNE MASSIFICATION QUI IRRIGUE L’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ. LA SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUE, L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE ET LE DÉPLOIEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES DOIVENT DEVENIR LES FILS CONDUCTEURS DES RÉFLEXIONS ET DES DÉCISIONS DE L’ENSEMBLE DES ACTEURS.

Faciliter la coopération entre les acteurs de la transition

C’est un défi à la fois essentiel et immense … mais nous avons des armes pour le relever ! Au-delà des cadres structurants, politiques et légaux notamment, beaucoup repose sur une meilleure coopération entre les acteurs afin de combiner les valeurs ajoutées et savoir-faire de chacun. Ainsi, l’accélération de la transition énergétique et environnementale de l’ESS peut s’appuyer sur les acteurs de cette transition, telle l’ADEME, pour bénéficier des expertises et des retours d’expérience existants et pouvoir ainsi se concentrer efficacement sur la recherche de solutions en matière d’innovations tout à la fois sociales et environnementales.

C’est là tout l’enjeu d’une coopération plus étroite entre acteurs de l’ESS et acteurs de la transformation écologique : chacun ayant à parcourir un bout du chemin et à apporter sa propre pierre à l’édification d’une société plus respectueuse de l’humain et de l’environnement.

Quelles sont les actions développées par l’ADEME pour engager et accompagner les acteurs de l’ESS dans la transition énergétique ?

Mobiliser les citoyens, les acteurs économiques et les territoires

L’ADEME est résolument engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique et la dégradation des ressources. Nous mobilisons les citoyens, les acteurs économiques et les territoires, pour donner à tous les moyens de progresser vers une société économe en ressources, plus sobre en carbone et plus juste.

En termes d’actions, nous conseillons, facilitons et aidons au financement de nombreux projets, de la recherche jusqu’au partage des solutions, et mettons nos capacités d’expertise et de prospective au service des politiques publiques dans les domaines de l’énergie, de l’air, de l’économie circulaire, de l’alimentation, des déchets, des sols…

Agir pour une transition qui soit également solidaire

Si l’action de l’ADEME est déterminée par l’objectif de transition écologique de la société, celle-ci ne peut réussir que si elle est aussi solidaire. De fait, les actions thématiques de l’ADEME montrent très souvent des bénéfices sociaux : par exemple dans le champ de la rénovation énergétique, qui permet de lutter contre la précarité énergétique, dans celui des transports, qui permet de désenclaver des territoires, notamment dans les milieux ruraux ou isolés, dans celui de l’alimentation durable, etc.

Dans l’objectif d’accélérer la transition écologique, nous avons récemment ouvert une plateforme numérique de services baptisée AGIR, afin d’accompagner pas à pas, de manière intuitive et opérationnelle, chaque acteur vers les solutions de soutien qui sont les plus adaptées. À ce titre, un effort tout particulier a été fait pour mieux orienter les petites et moyennes entreprises (PME).

L’ESS bénéficie bien évidemment de ces dispositifs génériques. D’autres dispositifs plus spécifiques, sectorisés (économie circulaire, alimentation durable, etc.) sont également proposés et sans aucun doute susceptibles d’intéresser plus particulièrement les acteurs de l’ESS. Je citerai également le tout premier appel à manifestations d’intérêt pour des contrats à impact social (CIS) dans le domaine de l’économie circulaire lancé, en lien avec la secrétaire d’État à l’ESS, en septembre dernier. La mobilisation des acteurs de l’ESS pour répondre à cet appel à manifestations d’intérêt est une marque de plus de leur dynamisme et de leur intérêt pour ce nouveau mode d’action des politiques publiques.

Soutenir l'écosystème de l'ESS, notamment à travers le plan France Relance

Dernier point et non des moindres : le plan France Relance, mis en place pour permettre la relance de l’économie à l’issue de la crise de la COVID, donne une large place à la transition écologique (de l’ordre d’un tiers du total des financements). Au niveau de l’ADEME, ceci se traduit par une hausse très substantielle de nos budgets incitatifs puisqu’ils sont multipliés par 2,5 sur 3 ans. Là encore, de nouvelles opportunités s’offriront aux acteurs de l’ESS. Pour n’en citer qu’une, les dispositifs en faveur du réemploi et du tri permettront dès début 2021 de soutenir de nombreux projets d’investissement.

D’ores et déjà, on peut souligner que les entreprises de l’ESS sont bien présentes au sein des acteurs de la transition écologique soutenus par l’ADEME : elles y sont engagées soit individuellement, dans les secteurs les plus variés (depuis la restauration collective jusqu’à l’éolien en passant par le réemploi textile, la rénovation thermique ou encore le secteur sanitaire), soit collectivement au sein d’accord à l’échelle de territoires. À titre d’exemple, on peut citer l’accord signé entre la Chambre Régionale de l’ESS et l’ADEME Île-de-France qui vise notamment à promouvoir les liens entre le modèle entrepreneurial de l’ESS, l’innovation sociale et la transition environnementale et énergétique et à accompagner la structuration et le développement d’activités pérennes sur ce champ énergétique et environnementale par les acteurs de l’ESS.

Plus récemment dans l’ESS, s'est lancé l’Impact Tank, une structure associant chercheurs, acteurs économiques et institutionnels pour identifier les innovations sociales au niveau des territoires, les promouvoir et déterminer leurs facteurs de reproductibilité. Je me réjouis que l’ADEME ait pu s’associer à cette initiative qui pourra également nous alimenter en matière d’analyse et de diffusion d’innovations environnementales territoriales. Cela s’inscrit totalement dans notre volonté, affirmée dans notre nouveau contrat d’objectifs avec l’État, d’intégrer plus systématiquement les dimensions sociales à notre action.

Quels leviers mobiliser pour assurer une gouvernance partagée et renforcer la coopération entre acteurs de la transition énergétique et de l’ESS ?

Tout acteur économique et tout individu peut agir

Citoyens, collectivités, entreprises, État… la transition écologique est une responsabilité collective et chacun peut agir à son niveau.

Au niveau individuel, on peut choisir de produire de la chaleur ou de l’électricité renouvelable chez soi (biomasse, photovoltaïque, pompe à chaleur, etc.). Avec leurs compétences en matière de planification urbaine et énergétique, les collectivités ont un rôle clé à jouer sur les territoires en fixant des objectifs ambitieux et en accompagnant les acteurs. Depuis les travaux de rénovation énergétique jusqu’à la mise en oeuvre de projets d’énergies renouvelables (parcs éoliens, centrales solaires, réseaux de chaleur urbains, etc.), les acteurs économiques de toutes tailles sont mobilisés pour répondre aux besoins et accompagner la transition.

OUTRE LES ASPECTS TECHNIQUES ET ÉCONOMIQUES, C’EST UN CHANGEMENT DE MODÈLE QUI EST À L’OEUVRE. LA RÉUSSITE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE PASSE PAR UNE FORTE APPROPRIATION LOCALE. C’EST AUX ACTEURS DES TERRITOIRES DE DÉCIDER COLLECTIVEMENT DES PROJETS QUI FONT SENS AFIN DE FAVORISER L’ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE.

Développer l'ancrage territorial et la gouvernance démocratique

En ne se concentrant pas sur la seule lucrativité des projets, les acteurs de l’économie sociale et solidaire occupent une place centrale dans cette transition énergétique territorialisée. En favorisant le lien social et une gouvernance plus démocratique des projets, ils en sont d’autant plus pourvoyeurs de richesses pour les territoires.

L’innovation organisationnelle est une des clés de réussite des projets de transition énergétique. De nouveaux modes de gouvernance existent déjà et permettent de créer des liens entre les citoyens, les collectivités et les entreprises. Par exemple, on assiste à une volonté de plus en plus marquée de réappropriation locale de la production d’énergie. Concrètement, cela se traduit par exemple par des projets collectifs d’autoconsommation à partir d’énergie solaire. Travailler ensemble sur un projet de production d’énergie amène à poser la question de la sobriété et de l’efficacité énergétique. Ainsi, par exemple, le montage d’un projet éolien ou photovoltaïque territorial amène nécessairement les acteurs du projet à se questionner sur le fonctionnement du réseau électrique et donc sur leur consommation : on pourrait citer l’expérience des habitants d’un village breton qui ont mis en place un sentier pédagogique sur la thématique de l’énergie dans le cadre d’un projet éolien.

Au niveau européen, la directive énergies renouvelables de décembre 2018 a introduit le terme de « communautés d’énergie renouvelable » pour désigner les projets énergétiques rassemblant plusieurs acteurs (collectivités, citoyens, entreprises) dans le but de fournir des avantages économiques, sociaux et environnementaux à la communauté allant au-delà des seuls gains découlant de la fourniture de services énergétiques. C’est la première fois que l’Union européenne propose de définir ces projets en reconnaissant leurs atouts sociétaux. Les acteurs de l’ESS ont une place essentielle à jouer dans le développement de ces projets en France. Le gouvernement travaille actuellement à la transposition de la directive, en complément des premiers éléments inscrits dans la loi Énergie climat de novembre 2019.

Bref, si les défis énergétiques et environnementaux à relever restent immenses, la panoplie de plus en plus fournie des outils et la mobilisation à l’échelle des territoires à travers de nouvelles formes de gouvernance de l’énergie sont autant de leviers d’action prometteurs !

L'ADEME - Agence de la transition écologique

L’ADEME est un établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation qui met en oeuvre des politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de l’énergie et du développement durable : sensibilisation, accompagnement et conseil auprès des entreprises, collectivités locales, pouvoirs publics et du grand public, financement de projets de la recherche à la mise en oeuvre.

www.ademe.fr

Thématiques

Coopération territoriale
Économie circulaire Politiques publiques Transition écologique

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