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Interview
Financer l’ESS

#4 La formation à impact est un modèle d’avenir

Publié le 11 juillet 2022 - Mise à jour le 18 juillet 2022
Quels sont les objectifs d’impact et les critères de sélection de la Banque des Territoires quand elle investit dans des entreprises de l’économie sociale et solidaire ? De quelle manière les projets soutenus répondent-ils à des enjeux de société majeurs tels que la santé et le vieillissement, l’éducation et l’emploi, la formation ou encore l’économie circulaire ? L’Avise a rencontré les responsables des équipes d’investissement de la Banque des Territoires afin de mieux comprendre comment celle-ci soutient les entreprises de l’ESS. Pour le quatrième volet de cette série d’interviews : rencontre avec Benoît Sénéchal qui dirige le pôle Formation professionnelle. 

Partenaire historique de l’Avise depuis sa création en 2002, la Caisse des Dépôts investit depuis plusieurs années dans des entreprises de l’ESS ayant déjà atteint une certaine maturité. Réunies dans le département Cohésion Sociale et Territoriale de la Banque des Territoires, cinq équipes d’investissement s’attellent à sélectionner les projets les plus prometteurs dans différents domaines. Rencontre avec Benoît Sénéchal qui dirige le pôle Formation professionnelle.   

Dans quel cadre la Banque des Territoires s’intéresse-t-elle à la formation professionnelle et quelles sont les activités du pôle ? 

Au sein du pôle Formation professionnelle, nous avons deux grandes activités. La première est une activité d'opérateur pour le compte de l'État de gestion des Programmes d’investissements d'avenir, aujourd’hui France 2030, et du plan d'investissement dans les compétences (PIC). Nous avons commencé en 2010 dans le cadre du PIA 1 et nous gérons aujourd’hui 10 programmes qui représentent 1,3 milliard d’euros de fonds. Ces programmes portent sur la formation en alternance, l'ingénierie de la formation professionnelle, les campus des métiers et des qualifications, des expérimentations sociales pour améliorer la formation des plus éloignés de l'emploi (le programme « 100% Inclusion ») ou encore l'intégration professionnelle des réfugiés… Des sujets divers qui sont tous liés au développement des compétences. Nous gérons aussi, conjointement avec l'Agence nationale pour la recherche, l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) Compétences et métiers d'avenir, qui vient d'être lancé et qui aborde de façon transversale le développement du capital humain dans les 28 priorités de France 2030. C’est plus de 2 milliards d'euros pour la formation pendant cinq ans.

Notre deuxième activité est une activité d'investisseur dans des structures de formation à impact. Sociétés privées ou associations, ces organismes de formation ont pour ADN commun le fait de s'adresser aux personnes les plus éloignées de l'emploi, peu qualifiées ou qui rencontrent des difficultés – des jeunes en situation de décrochage, des femmes des quartiers politique de la ville, des personnes en situation de handicap... Nous cherchons également à soutenir la formation à des métiers en tension et aux métiers de demain au sein des grandes filières économiques présentes sur les territoires. Le spectre est assez large, mais il s’agit bien à chaque fois de soutenir le développement d'organismes de formation qui ont un impact social ou territorial et qui présentent un modèle économique soutenable. 

  
Dans quels types de projets investissez-vous ? 

Notre partenariat avec les écoles de production illustre bien notre action dans le domaine de la formation à impact. Les écoles de production forment des jeunes en décrochage scolaire, qui ont entre 14 et 16 ans, à des métiers en tension souvent en lien avec l'industrie, par exemple aux métiers de chaudronnier, d'usineur, d'électricien. Ces écoles bénéficient des fonds de la formation professionnelle et ont aussi un modèle économique : elles vendent une partie de leur production aux entreprises du territoire qui sont à l’origine du projet et qui ont vocation à embaucher les jeunes formés par l’école. C’est la pédagogie du « faire pour apprendre », et cela fonctionne très bien parce que 95% des jeunes formés ont un emploi à la sortie. Cela leur ouvre des perspectives très fortes et c’est typiquement ce type de projets que nous cherchons à soutenir. 

Depuis la fin de l’année 2021, nous accompagnons aussi la grande réforme de l’apprentissage, qui a transformé le modèle économique des centres de formation des apprentis (CFA). Ces derniers sont incités à développer de nouveaux services (liés par exemple à la digitalisation ou au développement de la formation continue) ; ces services nécessitent des investissements qui ne sont pas financés alors qu’ils rapportent des recettes supplémentaires. C’est là que nous intervenons pour renforcer les fonds propres et quasi-fonds propres des CFA et leur permettre ainsi de financer leurs besoins et de faire effet de levier sur la dette bancaire. 

Nous avons par exemple soutenu le CFA de la gastronomie à Lyon, qui rayonne au-delà de la région Auvergne Rhône Alpes. Les apprenants sont plutôt des personnes peu qualifiées, il s’agit d’un métier en tension et ce CFA développe une nouvelle offre autour d’un restaurant d’application et d’une activité de formation continue. Autre exemple : nous avons financé un projet associatif de création à Reims d’une école Pigier, qui forme historiquement aux métiers d’administration des entreprises. Située en quartier politique de la ville, l’école répond aux besoins du territoire et recrute notamment des jeunes en décrochage via un partenariat avec une école de la deuxième chance.     

L’objectif est-il de soutenir des entreprises qui s’implantent dans différents territoires ?  

Nous cherchons surtout à répondre à des besoins. Les écoles de production, par exemple, sont des projets locaux. Il y en a aujourd’hui 43 : l’objectif est qu’il y en ait 100 d’ici trois ans, avec effectivement une couverture des besoins à l’échelle du pays. Nous ne soutenons pour autant pas tous les projets, car certains n’en expriment tout simplement pas le besoin. 

Lorsque nous investissons dans des sociétés privées, il s’agit souvent de structures qui s’adressent à l’ensemble du marché français. Par exemple, Simplon est un réseau de fabriques qui propose des formations gratuites aux métiers du numérique pour les moins qualifiés, avec l’objectif de couvrir les besoins, y compris en termes géographiques. Aujourd’hui, il y a environ 110 fabriques Simplon présentes en France. 

Quel est le montant moyen investi par projet ?  

Nous disposons de tous les instruments financiers pour accompagner les acteurs, qu’il s’agisse de sociétés ou d’associations. Concernant les écoles de production, nous sommes sur des tickets plutôt modestes de l’ordre de 100 000 à 300 000 euros pour la part Banque des Territoires. Le ticket minimum pour les CFA est de 200 000 euros, sur une levée de fonds d’au moins 400 000 euros. Notre objectif est d’investir entre 4 et 5 millions d’euros cette année, ce qui correspond à 10 à 15 projets engagés. 

Comment s’articulent vos interventions en tant qu’opérateur de l’État et en tant qu’investisseur ?

C’est une question de temporalité. Le PIA ou le PIC intervient en phase d’amorçage, sur des projets expérimentaux où il y a beaucoup d’innovation sociale ou technologique. Certaines structures trouvent ensuite un modèle économique et se placent dans une logique de changement d’échelle. Notre casquette d’investisseur nous permet alors de soutenir leur développement. 

A quelles difficultés sont confrontés les acteurs de la formation qui s’orientent vers les publics ou les territoires fragiles ? 

S’adresser aux publics fragiles, ce n’est pas choisir la facilité. Les modèles économiques sont souvent plus subventionnels, pour autant ils peuvent être tout à fait soutenables. Concernant le contenu de la formation, cela suppose de mettre en place des pédagogies actives et des actions d’accompagnement pour réussir à intéresser ces publics, à les remobiliser. Les résultats peuvent être significatifs, comme Simplon qui a entre 55 et 60% de sorties positives (NDLR - emploi durable ou de transition, ou formation qualifiante).  

Quelles sont les perspectives du pôle pour cette année ? 

Depuis deux ans, notre activité d’investisseur dans la formation à impact s’est considérablement développée. Nous souhaitons poursuivre sur cette lancée et, en particulier pour 2022, développer notre offre dans le domaine de l’apprentissage. Sur la partie programmes pour le compte de l’État, l’enjeu principal est de réussir le lancement de l’AMI Compétences et métiers d’avenir dans le cadre de France 2030.

A propos de la Banque des Territoires
Créée en 2018, la Banque des Territoires est un des cinq métiers de la Caisse des Dépôts. Elle rassemble dans une même structure les expertises internes à destination des territoires. Porte d’entrée client unique, elle propose des solutions sur mesure de conseil et de financement en prêts et en investissement pour répondre aux besoins des collectivités locales, des organismes de logement social, des entreprises publiques locales et des professions juridiques. Elle s’adresse à tous les territoires, depuis les zones rurales jusqu’aux métropoles, avec l’ambition de lutter contre les inégalités sociales et les fractures territoriales. La Banque des Territoires est déployée dans les 16 directions régionales et les 37 implantations territoriales de la Caisse des Dépôts afin d’être mieux identifiée auprès de ses clients et au plus près d’eux.
Pour des territoires plus attractifs, inclusifs, durables et connectés.  www.banquedesterritoires.fr


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Thématiques

Économie sociale et solidaire

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